Analysées ci-après, ces modes tarifaires sont autant de leviers visant une sobriété de consommation, face aux impacts du dérèglement climatique sur la disponibilité de la ressource en eau. Ainsi, la présentation du « Plan eau » incitait-t-elle en 2023, à généraliser la « tarification progressive ».
Dans le même temps, un rapport du CESE recommandait de l’utiliser avec prudence, comme une solution parmi d’autres qui, potentiellement, seraient mieux adaptables à la diversité des territoires et des priorités des décideurs que sont les communes et les intercommunalités.
Pour ces dernières, revoir leur système de tarification ne traduit pas seulement un objectif de réduction en volume de la demande en eau, mais tout autant sinon prioritairement un objectif social de plus grande équité de répartition des charges selon les profils d’usagers.
Dans tous les cas, le changement de modèle tarifaire s’avère une affaire complexe.
Afin d’y voir plus clair, nous nous intéressons dans cette note aux enseignements que nous apportent les retours d’expérience des intercommunalités pionnières de DUNKERQUE, MONTPELLER, BORDEAUX et FOUESNANT. Mais au préalable nous rappelons ci-après les principes généraux de ces tarifications modulaires et la nature des principales difficultés rencontrées pour les appliquer.
Comparativement à la pratique habituelle d’un prix du m3 d’eau uniforme, ces tarifications introduisent des modulations tarifaires en fonction de paramètres et variables tels que ci-après :
1.1 Tarification progressive
Dans ce modèle, le prix du m3 d’eau augmente en fonction des volumes consommés. La Collectivité doit donc déterminer le ou les seuils de consommation, à partir desquels le prix du m3 s’élève et de combien.
Le prix bas s’appliquera a priori sur la tranche de consommation correspondant aux « besoins essentiels » de l’usager. Au-delà pourront être fixées une seule ou plusieurs tranches de consommation progressivement plus coûteuses par m3.
Dans ce cas, une difficulté d’application à résoudre va être de déterminer les volumes correspondant, équitablement, aux « besoins essentiels » de chaque abonné. En effet, ces « besoins essentiels » peuvent fortement varier selon que l’abonné est une personne seule ou un ménage pouvant compter plusieurs enfants.
Mais la principale limite est de ne pouvoir équitablement s’appliquer qu’aux abonnés bénéficiant d’un système individuel de relevé des consommations (Voir exemples locaux ci-après).
1.2 Tarification saisonnière
Dans ce modèle, le prix au m3 varie selon les périodes de l’année. Un principe qui concerne évidemment en priorité les communes des territoires touristiques qui, comme l’île de Ré, sont confrontées à de très forts écarts de fréquentations, dont la plus haute en période des tensions estivales d’approvisionnements en eau potable.
Il s’agira de fixer prévisionnellement le début et la fin de la « saison haute » (avec un risque de ne pas toujours être en phase avec les réalités climatiques du moment : voir les écarts en Ré entre les pluviométries des saisons estivales 2022 et 2024 …). Il s’agira parallèlement, de s’assurer que les dispositifs de relevage des consommations soient effectivement bien déclenchés aux dates préfixées des saisons hautes et basses.
NB : Une variante poursuivant le même objectif, peut-être une tarification différente entre abonnés de résidences principales et abonnés de résidences secondaires ; ces derniers étant réputés a priori consommateurs principalement en périodes de fortes fréquentations. Il faudra donc organiser une facturation concrétisée selon ce clivage de profils d’abonnés.
1.3 Tarifications tenant compte du profil social de l’abonné
Sur ce principe, l’objectif est de diminuer l’impact financier de la facture d’eau dans le budget des ménages économiquement défavorisés. Une telle disposition pouvant se substituer ou compléter des mesures d’exception existantes de soutiens apportés à des ménages en difficultés, pour le paiement de leurs factures d’eau.
Dans ce modèle tarifaire, le problème, après avoir déterminé les critères d’éligibilité, sera d’ordre administratif, pour dresser la liste des bénéficiaires et en gérer l’actualisation. Nombre de communes sont en effet bloquées par le refus des CAF de communiquer à cette fin leurs fichiers. (Voir exemples ci-après).
2.1 Le Syndicat des eaux de DUNKERQUE, ville pionnière
Depuis onze ans, la grille tarifaire du prix de l’eau, désignée « Tarification éco-solidaire » est ici divisée en trois tranches tarifaires :
Suivis évidemment de très près par le syndicat des eaux de Dunkerque, les effets de ces dispositions, à l’époque quelque peu révolutionnaires, se sont traduits par une baisse de 8 à 10 % des volumes d’eau potable consommée dans le territoire dès les premières années. Cité dans un article du journal Le Monde, Bertrand Ringot, vice-président de la Communauté urbaine de Dunkerque relève que « Jusqu’à 80 % des foyers sont gagnants, les 20 % « perdants » seraient notamment ceux qui arrosent leur jardin à l’eau potable, remplissent leur piscine – une minorité dans le Nord – ainsi que les familles très nombreuses ». (Le tarif étant calculé sur la consommation d’un foyer moyen équivalant à quatre personnes, les familles plus nombreuses sont pénalisées).
Ci-dessous, 2 exemples de supports de communication, en l’occurrence une simulation de facture à la baisse et une à la hausse, diffusées auprès des abonnés pour les inciter, grâce au nouveau modèle tarifaire, à plus de sobriété.*
Depuis le 1er janvier 2023, la Régie des eaux MONTPELLIER-MÉTROPOLE qui dessert plus de 400 000 habitants, applique aux usagers domestiques une tarification « éco-solidaire » qui comprend 3 volets :
La tarification progressive comporte 4 tranches :
La tarification unique (abonnés sans compteur individuel) comporte donc une seule tranche : 1,16 €/m3, quel que soit le volume consommé.
Soutien financier aux ménages
Sont éligibles, les abonnés dont la facture d’eau, selon la composition du ménage, est supérieure à 3 % des revenus. Cette aide personnalisée peut varier de 10 € à plus de 200 € par foyer, avec une moyenne de 20 €
NB Dans les faits, la Régie des eaux de MONTPELLIER a dû repousser à 2025, l’application de ce soutien, en raison du blocage de transmissions de données de la CNAF.
Cas de la tarification pour les consommations d’eau potable « hors ménages »
Il est intéressant de constater que la Régie a mis également dans ce cas une tarification progressive, mais avec des amplitudes tarifaires infiniment plus réduites que pour les consommations domestiques :
On est en droit de penser que pour ces consommations en eau potable d’usages strictement professionnels, il s’est agi pour la Régie des eaux de MONTPELLIER-MÉTROPOLE, de ne pas pénaliser sur ce poste de charges, la compétitivité économique des entreprises et services collectifs du territoire.
Premiers bilans sur les volumes consommés
Entre 2022 (dernière année de l’ancienne tarification) et 2024 ont été observées les baisses de consommations suivantes
Même si on se doit de rester prudent dans l’interprétation de ces résultats, en raison de l’incidence de facteurs non tarifaires sur les volumes consommés, ces premiers indicateurs de performance tendent à démontrer l’efficacité de la tarification progressive.
Parmi d’autres collectivités littorales et touristique, la collectivité du Pays de Fouesnant dans le Finistère, a mis en place une tarification explicitement saisonnière.
Ainsi, d’avril à septembre, le prix du m3 d’eau potable est multiplié par 2 et cette disposition s’applique indifféremment aux résidents à l’année, aux résidences secondaires, aux hôtels ou encore aux campings.
Pour le président du Pays Fouesnantais, les résidents à l’année sont incités à décaler la période de réalisation de leurs travaux grands consommateurs d’eau, pendant que les autres consommateurs « paient leur juste contribution à l’équilibre global du coût de l’approvisionnement en eau potable ».
Avec une baisse de la demande estivale, notamment passant les jours de pics de consommation de 6 000 à 5 000 m3/jour, ce dispositif a démontré ici son efficacité.
2.4 LA RÉGIE DES EAUX DE BORDEAUX MÉTROPOLE OU L’ABANDON DE LA TARIFICATION PROGRESSIVE
S’il fallait, comme le souligne par ailleurs un rapport du CESE, démontrer que la tarification progressive n’est pas « la solution miracle », en l’abandonnant la Régie des eaux de Bordeaux-Métropole nous en fournit une illustration riche d’enseignements.
Pour comprendre les raisons de cet abandon, qui n’est pas au demeurant un simple retour en arrière, il convier de s’intéresser à la structure de la tarification progressive mise en cause.
Comme le montre le schéma de la Régie ci-dessous, la tarification progressive s’appliquait sans distinction de profil d’utilisateur (domestique, professionnel, abonnés individuels ou immeubles collectifs) et 3 tranches qui, exceptée la première (0 à 170 m3) ciblant a priori les utilisateurs individuels, sont de très grande ampleur.
Pour la Régie de Bordeaux-Métropole, comme le montre son visuel ci-après, la principale raison remettre en cause de sa tarification progressive est son iniquité de fait, l’écart entre une vision théorique des facteurs de consommation et les réalités masquées.
En conséquence, la Régie a profondément révisé sa tarification sur les bases suivantes :
Une forte baisse, dans le coût tarifaire total de la part des frais fixes, indépendante donc des volumes consommés, afin de ne pas pénaliser les petits consommateurs.
L’abandon de toute tranche et un prix unique pour tous de la part variable de la tarification (NB : ce qui la rend néanmoins progressive, mais du seul fait des variations de volumes consommés).
Et autres dispositions sociales, résumées dans l’encadré communiqué aux abonnés par la Régie de BORDEAUX-MÉTROPOLE (ci-après)
3 PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS
Ré AVENIR s’attachera bien sûr à apporter sa contribution à tous les projets qui iront dans ces directions, sur notre territoire.
ANNEXE : principales sources documentaires
Avis du CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) Novembre 2023
https://www.lecese.fr/actualites/eau-potable-des-enjeux-qui-depassent-la-tarification-progressive-avis-adopte