Crise du coronavirus oblige, la Convention citoyenne pour le climat n’a pas pu solennellement voter et remettre ses propositions au président de la République le week-end dernier, ainsi que le prévoyait le calendrier initial. Il est question d’un report à juin, voire septembre.
Cependant, les membres de la convention ont maintenu les 3 et 4 avril leur session sous forme « dématérialisée », au cours de laquelle ils ont décidé d’apporter leur contribution au débat sur la sortie de crise, présentée ce vendredi. Ils souhaitent contribuer aux arbitrages sur les mesures de relance que doit décider le gouvernement, « car la crise que nous traversons n’est apparemment pas sans lien avec le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement ».
Ils s’expriment en faveur d’une sortie de crise « qui ne soit pas réalisée au détriment du climat, de l’humain et de la biodiversité » et « qui prépare à un modèle économique et sociétal différent, plus humain et plus résilient ».
Par ailleurs, ils demandent au gouvernement que « les financements mobilisés dans le cadre de la sortie de crise soient socialement acceptables, fléchés vers des solutions vertes » ainsi qu’à ce que « les investissements se concentrent dans des secteurs d’avenir respectueux du climat ». Ils rappellent aussi que « cette crise nous concerne tous et ne sera résolue que grâce à un effort commun, impliquant les citoyens dans la préparation et la prise de décision ».
Au-delà de ces recommandations générales qui ont fait l’objet d’une communication publique (consultable sur le site de la Convention citoyenne pour le climat), les citoyens ont également présenté au gouvernement ce vendredi une cinquantaine de propositions très concrètes parmi les 150 qu’ils ont élaborées et dont ils jugent qu’elle devraient être activées dans le cadre d’un plan de sortie de crise : « Face à l’urgence, certaines de nos mesures permettraient de contribuer à la fois à une relance économique, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et, indéniablement, à améliorer notre santé et notre bien-être collectifs, tout en tenant compte des populations les plus fragiles. »
Ces propositions très concrètes adressées au chef de l’Etat et à son gouvernement pour que la relance post-déconfinement soit verte et pas brune, riche en emplois, socialement équitable et pas « business as usual », sont du plus grand intérêt. Elles sont à la fois ambitieuses et réalistes, et témoignent de l’extraordinaire travail réalisé par la Convention depuis l’automne dernier.
Les citoyens ont toutefois décidé – par un vote dématérialisé organisé lundi dernier – que ces propositions ne seraient pas rendues publiques, mais adressées au seul gouvernement. Elles sont pourtant une contribution doublement importante au débat public sur le contenu de la relance économique que beaucoup appellent de leurs vœux.
D’une part en raison de leur qualité intrinsèque. D’autre part parce qu’elles sont le fruit de la réflexion non pas d’experts, mais d’un panel de citoyens représentatifs de la société et choisis au hasard. A ce titre, elles préfigurent une vision qui pourrait, moyennant un débat public de qualité, être partagée par la majorité des Français.
Publier ou ne pas publier ces propositions concrètes a suscité un vif débat au sein de la Convention citoyenne. En l’état, elles n’ont pas été solennellement votées par les 150 membres, puisque le confinement a empêché la tenue de la dernière session. Elles comportent un certain nombre de réserves et amendements sur lesquels il reste à délibérer. Elles ne peuvent donc être considérées comme définitivement adoptées.
Les publier à ce stade, c’est donc courir le risque que les citoyens soient exposés à des critiques et pressions venues de toutes parts : milieux patronaux, syndicats de salariés, organisations de la société civile… et ne puissent pas délibérer sereinement. Une position partagée par un certain nombre aussi bien du côté des citoyens membres de la Convention que de l’organisation.
Inversement, présenter ces propositions à la fois au public et au gouvernement – comme c’est le cas dans la discussion d’un projet de loi au parlement – c’est élargir le débat public sur les mesures de relance… et permettre à chacun de savoir quelle suite l’exécutif y donne.
Les 150 citoyens ont donc voté. Problème : comment voter quand tous ne sont pas également agiles avec les outils numériques ? Quand tous ne sont pas présents, parce que comme soignants, ou employés dans la logistique, ils sont « au front » ? La décision a été prise de voter à la majorité des 150, soit 76 voix, et non des seuls présents (ils étaient 115 à pouvoir voter en ligne), de sorte que les absents ne soient pas pénalisés.
Résultat du scrutin : 71 citoyens ont voté pour que les propositions présentées au gouvernement soient également rendues publiques. Soit cinq voix manquantes pour que ce soit publié, mais une majorité des voix parmi ceux qui ont voté. La démocratie n’est pas un exercice toujours aisé.
Venons-en aux propositions, que nous avons pu consulter. Des propositions souvent ambitieuses, qui ont pour dénominateur commun le souci de l’équilibre entre l’écologique et le social et l’idée qu’on doit réglementer pour agir, et non se contenter de mesures incitatives. Pour en donner une idée, nous en présentons ici quelques-unes, « sans filtre ».
L’objectif est de passer d’une rénovation par petits gestes à une rénovation globale, et de rénover 20 millions de logements de façon globale d’ici à 2030, dont 5 millions de passoires thermiques. Un grand chantier national créateur d’emplois, réducteur de la facture énergétique, améliore le confort et permet de réduire les dépenses de santé.
Pour les copropriétés et les bailleurs sociaux ou privés, la rénovation des passoires thermiques (étiquette énergie F et G) serait obligatoire d’ici à 2030 et les autres (D et E) avant 2040. Pour les maisons individuelles avec propriétaires occupants, la rénovation globale serait obligatoire au moment des transmissions à partir de 2024.
Dès 2021, l’augmentation des loyers des passoires thermiques serait interdite lors d’un changement de locataire. A partir de 2030, un malus serait imposé aux propriétaires qui n’auraient pas rénové, via la taxe foncière notamment.
Des mesures contraignantes qui s’accompagneraient bien sûr d’aides sur un plan technique et financières : guichet unique d’accompagnement à la rénovation, système progressif d’aides à la rénovation permettant un reste à charge minime dans le respect de la justice sociale.
Dans le cadre de la planification intercommunale, le nombre d’hectares artificialisables par commune serait limité sur la période 2021-2030 au quart de ce qui a été artificialisé depuis 2000. Par ailleurs, toute artificialisation serait interdite là où des réhabilitations sont possibles dans l’enveloppe urbaine existante.
Pour favoriser la réutilisation des espaces déjà urbanisés et densifier, les citoyens ont formulé une série de propositions : comme le renforcement des dispositifs fiscaux permettant de pénaliser la vacance des logements et bureaux.
Au chapitre de l’agriculture, les membres de la Convention préconisent de se fixer des objectifs ambitieux : avoir converti à l’agro-écologie 50 % des terres en 2040, baisser de 50 % l’usage des engrais azotés d’ici à 2030 et avoir éliminé tous les pesticides d’ici à 2040. En corollaire : développer les filières de plantes légumineuses, les prairies permanentes, les circuits courts…
Pour inciter à utiliser des moyens de transports doux ou partagés entre le domicile et le travail, le forfait mobilité durable, prévu par la récente loi d’orientation des mobilités (LOM) devrait être rendu obligatoire pour toutes les entreprises de plus de onze salariés et la prime devrait être augmentée à 500 euros par an, avec possibilité d’extension jusqu’à 1 800 euros dans certaines situations (zones rurales, précarité). L’adoption de plans de mobilité durable devrait être rendue obligatoire dans toutes les entreprises.
Les citoyens demandent aussi une révision de l’indemnité kilométrique déductible de l’impôt sur le revenu, qui avantage aujourd’hui les grosses cylindrées. Pour favoriser l’usage du vélo par les écoliers, il faudrait « créer un système de prêt de vélos basé sur le modèle du prêt de livres scolaires ».
Il faudrait aussi, pour entraîner de nouvelles habitudes de déplacement, aménager massivement les voies publiques. Parmi les propositions : interdire l’accès des centres-villes pour les véhicules les plus polluants, créer des parkings-relais dont le ticket permet un accès aux transports publics en centre-ville, augmenter les montants du fonds vélo de 50 à 200 millions d’euros par an pour financer des pistes cyclables, ainsi que généraliser sur les autoroutes péri-urbaines et pénétrantes les voies réservées aux véhicules partagés et transports en commun.
Sans oublier les infrastructures ferroviaires sur tout le territoire. Sur ce plan, les citoyens préconisent de réduire la TVA sur les billets de train de 10 % à 5,5 %, de généraliser à l’ensemble du territoire les mesures tarifaires attractives déjà pratiquées par certaines régions au niveau des TER (et des cars).
Une série d’autres propositions portent sur le transport de marchandises : dont une augmentation de 400 millions d’euros par an des investissements au profit du fret ferroviaire et des plates-formes multimodales, ainsi que la sortie progressive des avantages fiscaux sur le gazole, en échange de compensations pour les transporteurs routiers sous forme d’aides au financement accrues pour l’achat de camions neufs et moins polluants.
La voiture individuelle fait bien entendu l’objet de nombreuses propositions : interdiction dès 2025 de la commercialisation des véhicules neufs très émetteurs, modulation des taxes sur les contrats d’assurance en fonction des émissions de CO2, développement de la location longue durée des véhicules propres pour éviter l’investissement à l’achat, renforcement du bonus-malus aujourd’hui inopérant pour réorienter le marché. Actuellement, avec un seuil à 110 g de CO2/km et un malus de 1 000 euros quand on passe le palier de 133 g, 5 % des véhicules neufs ont un malus de plus de 1 000 euros.
On pourrait signaler aussi de nombreuses propositions pertinentes touchant à la gestion des déchets, l’écoconception, l’orientation de l’épargne, les conditionnalités vertes aux aides publiques à la recherche et développement (R&D), l’accompagnement des entreprises dans la transition, la formation professionnelle, la régulation de la publicité, la sobriété numérique, l’éducation environnementale à l’école, l’amélioration de la participation citoyenne…
Au final, près de 90 pages de propositions posées sur le bureau de l’exécutif, certes inégales dans leur niveau de précision mais qui expriment la demande très claire des 150 citoyens pour un plan de relance vert et ambitieux. A voir ce qui sera fait de cette proposition, qui ne vient ni d’experts, ni d’associations de défense de l’environnement, ni d’élus et de partis politiques, mais de quelque chose qui ressemble à ce que beaucoup de Français attendent de leur Président.